A Frédéric Dard, trop tôt disparu, resquiat in pace
A Louis Destouches pour le quarantième anniversaire de sa mort
A André Malraux pour le centième anniversaire de sa naissance
Alors, c'est cela, embrassons nous Folleville ? Bisous, papouilles, léchages en tous genres ?
Rien qui cloche lecteur mon pote, liseur ami, caro lettore, lieber Leser, dear reader ?
Digeste que tout cela ? Tu trouves ? Pas un truc bizarre ? Non ? Imagine deux amis,
appelons les André Naline et Acétyl Choline - oui, ce dernier prénom est peu répandu
mais l'état civil permet tout désormais - deux amis bien dans le ton de l'époque,
disons, des médiateurs.
Bon. Depuis l'envol de Talbert au chapitre VIII, si je ne m'abuse, ils font la sarabande
dans le cortex du sus-nommé et s'en donnent à coeur joie. Ca, tu l'auras compris,
j'espère. Ah, tu vois, les souvenirs de Lycée reviennent ! Mais oui ! Ces deux acolytes
qui font la pluie et le beau temps d'une synapse l'autre ! Les Laurel et Hardy des nerfs
! Ils nous auront mis un beau boxon pas vrai ? C'est qu'eux ont goûté jusqu'à plus soif du
coma de Talbert, le soufflé, l'explosé, le polycriblé Talbert ! Deux mois qu'ils se déchaînent
et l'entraînent dans des rêveries, réminiscences et autres pataquès, sous ses paupières d'infortuné !
Son seul lien à la vie ! Son petit cinéma intérieur, on dirait, un drôle de kaléidoscope !
Et Talbert ? Il n'en peut mais ! Coma, on t'a dit. Oh, il va mieux, merci pour lui. A part
la perf' pour le nourrir, il respire comme un grand : seulement, il continue à dormir
dans la mal - nommée "salle de réveil". Franchement, on n'y croit plus guère, ici, au
réveil, on jette un oeil distrait désormais sur son lit, juste par habitude. Au cas que...
Seule, Maria Roberta veille. Avec son missel. Posé sur son avantageuse poitrine.
Huit semaines qu'elle lui tient la main, la foi chevillée au corps. Elle a lu la nouvelle
dans les journaux et ça n'a fait ni une ni deux : elle a quitté Moulins centre France,
tout dit à son mari, fait sa valise, et rejoint son dormeur du Val. Tu vois le tableau ?
Elle a trouvé un petit hôtel non loin de l'hôpital, s'est dégotée un petit travail
d'intérimaire à la comptabilité d'un garage Peugeot et, vient tous les soirs, week-end
compris, au chevet de son amour clandestin. Elle a même tellement insisté qu'on lui a
installé un petit lit de camp dans la chambre, où elle dort une fois sur deux. Vois-tu, la
Maria, elle s'épanouit dans le malheur. La Roberta, elle, espère un miracle. Prie avant
de s'endormir. Passerait sa vie en oraison si il le fallait. Et, c'est pas tout ! Elle lui
parle, tout le temps qu'elle est avec lui. Elle lui raconte, jusqu'à ce que sa bouche soit
plus sèche que si elle s'était trouvée au beau milieu du Harar, leur rencontre à Champs
sur Marne et, par le menu, toutes les délicieuses minutes qu'ils ont passées ensemble.
Confondant ? Peut-être ! Mais c'est l'amour, vieux, même si l'amour - tu le sais, mais
elle, non - c'est ³l'infini à la portée des caniches², selon le plus grand écrivain de ce
siècle. S'en fout ! Elle aime les caniches d'ailleurs. Alors pourquoi jouer l'étonné,
lecteur mon con ? Elle te glissera un jour, la Roberta, si tu as l'heur de la rencontrer,
que c'était un dimanche matin et que la pluie battait aux fenêtres. Que la main qu'elle
tenait s'est raidie dans la sienne...
Talbert ouvrit un oeil, puis l'autre. Cette drôle de chaleur là-bas - mais où ? - à une
extrémité de lui même. Une lumière d'abord, mais c'est comme si il avait été myope.
Il cligna plusieurs fois des yeux. La chaleur disparut puis il entendit comme un appel.
Des voix maintenant, autour de lui, qui l'entourait dans le halo d'un mal de tête qui
semblait inexpugnable. Bouger ? Oui, mais cette volonté coutumière lui coûtait des
efforts inouïs. Toujours les voix. Où était-il ? Dans un paradis de néons ? Non, il n'y
aurait pas cette agitation. Il n'arrivait toujours pas à accommoder sa vision. Il fut
traversé d'un peur panique, à tel point que lui vint la force improbable de rechercher
de la main qu'il sentait libre quelque chose qui lui prouve qu'il était vivant. Et
intègre. Ainsi, tout le service de réanimation, et Maria Roberta avec lui, assista à la
scène d'un type sortant du coma et, dont le premier geste, fut d'aller tâter ses couilles.
Mon Dieu ! : elles étaient chaudes (et bien pleines) !
Une voix inédite psalmodia en Talbert des vers de la Gîtâ :
Je suis le commencement et la fin de tous les êtres,
Et dans les vivants, je suis la conscience;
Entre ceux qui ont descendance, je suis l'amour;
Entre les fleuves, je suis le Gange,
Je suis le vent parmi les purificateurs,
Je suis le temps impérissable, la beauté, la gloire...
Et je suis la Mort de tout, et je suis la Naissance de tout,
La parole et la mémoire, la constance et la miséricorde,
Et le silence des choses secrètes...
Il sourit, rassuré, avant de se rendormir, comme un type accablé par une journée de travail épuisante.
Il rêva presque instantanément d'un train filant à toute allure en rase campagne : ouais, good news,
Talbert était de nouveau sur les rails...
Ca pouvait continuer.
Pour lire le chapitre suivant