Chapitre XXX

 

Partir un jour sans retour ...
Talbert ne se sentait pas à l’aise. Le jour où il était parti pour l’autre bout du monde, dans l’urgence et pourchassé par ses anciens collègues, il avait l’idée que jamais plus il ne reviendrait.
Les premières semaines, la vie simple des Asiatiques lui avait convenu parfaitement.
Déjà, depuis longtemps, une sourde attirance le menait fréquemment vers les restaurants chinois, les arts martiaux, le thé vert et la lecture de Lao-Tseu.
Près de sa rizière, l’air vicié de Paname était insidieusement devenu un manque, puis une douleur croissante s’emparait de son esprit le soir, surtout, quand il observait le coucher du soleil sur l’horizon.
Le rythme du temps, la fadeur des rapports avec les gens sur place, puis les développements récents avaient fait basculer le fugitif.
La stupeur, puis très rapidement la colère, mauvaise conseillère, s’emparaient de Talbert.
Arrivé à l’aéroport de Lisbonne, il se dirigeait vers la gare centrale de la ville, pour rallier discrètement Paris, quand il acheta Libération dans un kiosque.
La rubrique Rebonds comportait, sous la signature du couple incongru Bourdillard-Baudrieu, unis dans la circonstance, un commentaire abscons sur des extraits cités de son journal intime et de sa correspondance avec Florence.
C’était un comble ; ces deux peine-à-jouir funestes qui emmerdaient depuis des siècles des générations d’étudiants boutonneux se permettaient, toutes querelles cessantes, de donner leur avis sur quelque chose qui ne les regardait pas du tout.
Une inconnue restait : comment ces papiers étaient-ils parvenus dans les mains moites de ces deux cacochymes ; Florence ou Ben avaient-ils vendu la mèche ; non c’était improbable.
La lecture d’un entrefilet dans Libé lui donna l’explication ; l’enquête sur Talbert relancée avec la perquisition des domiciles de plusieurs de ses amis …
En quelques minutes, Talbert se rendit à l’évidence, il était de nouveau recherché ; suite aux déclarations de Ben, aux indiscrétions probables de ses anciens " amis ", une enquête pourtant bien enfouie avait été exhumée et il était de nouveau recherché, tel un Schüller moyen dénoncé par sa marmaille.
L’ensemble de sa correspondance avait été déterré par les forces de l’ordre, puis dispersé aux journalistes et penseurs du temps. Chacun y allait de son commentaire, pensant ainsi sans doute agir sur le cours des choses. C’était absurde, scandaleux, inadmissible ; il fallait agir. Comment de tels personnages osaient-ils s’exprimer sur lui, émettre une pensée à son propos, disséquer son moi comme un entomologiste découpe une fourmi en rondelles.
La situation était de plus assez compromise pour son retour vers Paris, compte tenu de l’activité défavorable de la police à son encontre.
Appeler ses amis était mal indiqué car ils étaient probablement sur écoutes. L’heure était grave.
En marchant dans les rues grouillantes du centre de Lisbonne, une voix de velours résonna à son oreille.
Cela lui rappela les mots de Maria-Roberta après leurs ébats crapuleux.
Bon sang, bien sûr, elle pouvait l’aider ; elle le ferait sûrement, nonobstant une assez longue brouille entièrement due à son attitude peu respectueuse à son égard à elle ; oui, elle pourrait l’aider, contrairement à ses proches, elle n’était sûrement pas écoutée car sans lien officiel avec lui ; de plus, en cas de séjour prolongé aux bords du Tage, elle pourrait lui indiquer des moyens simples pour rester inaperçu.
C’était la bon dieu de bonne solution ! ! !
Pour l’heure une bonne Sagres détendrait Talbert, installé confortablement à la terrasse d’un petit bistrot lisboète.
Pourtant, pour la première fois depuis son départ précipité pour l’Orient, Talbert se sentait totalement dépassé par l’enchaînement des circonstances.
La maîtrise qu’il sentait dans ses déclarations à distance, avec la collaboration de ses deux complices parisiens, faisait place à une immense lassitude, accentuée par le Jetlag qu’il éprouvait momentanément.
Non, je ne suis pas un Robot …
Non, mais je suis en pleine possession de mes moyens physiques et intellectuels …
Oui, je domine la situation du matin au soir et du soir au matin …
Non, je ne lâcherai pas le manche, je suis le meilleur pilote de l’escadrille …

 

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