CHAP XI

On s'habitue à tout, je vérifiais encore, moi le Talbert au nom de sillon des Côtes d'Armor,
vaguement celte, druidique, ouais, le sens affleure sous les apparences comme le sel l'été
dans les ¦illets des paludiers, la confusion n'est qu'un moment, comme une sorte d'image
arrêtée échappant à la gravité, un instant chargé d'intensité, où les vérités se bousculent
en désordre au portillon, toutes plus sûres d'elles les unes que les autres, regarde les qui
se pavanent, jouent les aguicheuses, de vraies putes, et me revinrent alors ces phrases de
Trithème l'alchimiste, dont je compris pourquoi un jour je les avais apprises par coeur,
by heart, dans l'attente de ce moment suspendu, ça ne faisait aucun doute, ³Par
conséquent l'alchimie est une chaste prostituée, qui a beaucoup d'amants, mais elle les
déçoit tous et ne concède son étreinte à chacun. Elle transforme les sots en fous, les
riches en misérables, les philosophes en andouilles, et les trompés en de très loquaces
trompeurs..."formidable ode à la versatilité, non ?, à la volte, au changement de donne dans
le jeu des cartes battues, rebattues, ça datait de 1690, d'une époque où la raison
raisonnante n'avait pas encore emporté le morceau, où l'humain figurait encore une
matière magique, aussi, un objet de connaissance en soi, non pour créer un homme
nouveau, cette niaiserie, mais un homme neuf, mes amis, est-ce qu'on peut se figurer cela ?,
un homme neuf, débarrassé de tous les oripeaux de la posture, allant à l'essentiel, ni le
pouvoir, ni l'argent, ni le sexe, absurdes catégories, non, le sentiment du pouvoir, la quête
d'une richesse improbable, l'amour sorcier, capito?, des sels, des balances, des mesures,
des équilibres, des expériences, des recherches innombrables, des arpentages incessants,
des caves aux greniers des mondes, les réels, les fabriqués, ceux des cartes, ceux des
visions, vers quoi tu demandes ?, ta question est bonne mais elle pue la modernité, crois
moi, lâche toi, pars à l'abattée, choisis le grand largue sur la voie du sens, oublie les
ports d'attache, pense aux horizons infinis, aux havres à construire, prends le temps de
l'Odyssée, le texte des textes, ce temps alangui, allongé, dilaté dans un flux de marée, car
ce temps a une destination secrète de la même façon qu'un secret t'est destiné, là-bas,
quelque part, où tu ne sais pas, où tu ne songes même pas à aller, comprends que l'homme
n'a jamais été autant homme que lorsqu'il a fait valser les croyances, mieux, qu'il les a
jouées, ce malin, les unes contre les autres, qu'il les a mélangées dans le brouet de ses
illusions, qu'il n'a pas recherché la transparence du monde et des êtres, mais à améliorer
sa perception des choses et du vivant, du visible et de l'invisible, dans le nimbe des
drogues, les états seconds, tous des chaman en puissance, je te l'assure ou, plutôt, des
apprentis chaman, voilà l'horizon de l'humain, cet horizon exterminé mais irréfragable,
car il pousse comme la mauvaise herbe, comme les fleurs des pendus que nous sommes,
pendus aux lèvres d'une sorcière qui n'avoue pas son nom, nous le connaissons, mais qui
jette ses charmes en pâture à nos appétits d'ogres angoissés par la peur, d'un chagrin
inconsolable venu de nulle part, d'une nostalgie confuse d'un passé mal enfoui, d'une
mélancolie criante de toutes les absences dans les nuits de veille de, vivants pourtant,
vivants, battants comme des portes, ivres de l'instant où le hier et le demain se font la
belle en riant, cet instant d'être plein, où la paix vient en surcroît, où l'évidence le
dispute au déchaînement des sens, dans un combat doux et ouatée comme la caresse d'une
peau, d'une fesse proportionnée, d'un galbe inespéré, oui, des moments d'être, mordant
comme une brise de noroît, mordant comme la morsure de la femme aux portes du plaisir
qui plante ses dents dans ton cou, là, juste sous ton oreille, et qui t'arrache un râle, un
autre cri de vivant, tiens, écoute, comme celui du mouton qu'égorgCVVBBBBBFFGe Kusàck
avec la dextérité d'un maître, toute sa science du couteau, et le sang qui jaillit, flot
vermeil des merveilles, sacrifice des sacrifices, pour que revienne un peu de paix dans
nos âmes, pour que les fenêtres de l'esprit s'ouvrent sur les jardins embaumés d'un Eden
inédit, où dansent tous les fakirs du monde, où lévitent tous les moines qui savent, où
tous acquiescent au cours des choses en connaisseurs, Gushbore est de ceux-là qui
apporte le graal de l'ovin immolé, sur l'autel de nos espoirs fous et vains, mais vitaux,
psalmodiant un langage aux phonèmes suaves, dont je n'entends, comme un fétiche, que le
prénom de la grande accoucheuse, Ariana, eh bala, singaraja, Ariana, eh bala, tale maya,
avant de m'écrouler dans le sommeil des justes, dans ce silence tranquille d'après le
sacrifice, l'abandon, l'abandon, l'abandon...I see my light come shining, from the west
unto the east, anyday now, anyday now, I shall be released...


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