Comme dans les romans à deux sous, et c'est une loi générale de l'existence, un précipité de vie,
le principe de réalité contre celui de plaisir; le carillon sonne toujours sinon deux fois au
moins durant l'extase.
Pour Talbert c'était là une évidence.
Son souci était ailleurs ; ne jamais se départir de lui-même, inscrire sa réalité dans un
continuum, qu'il nommait : moi.
Entre deux hallucinations, il arrivait à assumer sa propre continuité. Alternant euphorie,
dépression, il devenait ce qu'il avait toujours était ; une ombre. Il composait avec l'existence.
Ses égarements érotiques étaient selon Ariana le produit d'une surcharge de libido
transférentielle, et d'une lecture trop assidue de la pourtant peu méritante collection " les
érotiques " de G.De Villiers.
On pouvait passer rapidement sur ces dérapages fantasmatiques qui étaient à la vie de
Talbert ce qu'Henri II et III même réunis furent à l'histoire de France.
De l'affaire qui nous intéresse, et qui l'avait conduit à Marseille, on était en phase
d'apurement. Talbert se souvint qu'il avait promis à Betty de la rappeler, ce qu'il fit. Il lui
raconta par bribe les raisons de son inquiétude et lui proposa de dîner, ce qu'elle refusa
ainsi qu'il s'y attendait.
Il appela Paris et demanda à parler à l'inspecteur Wurtz :
- Allo, wurtz, Talbert !
- Mhum, qu'est que v 'lez
- Wurtz !
- Quoi ! bon dieu, j'ai un clille sur le feu, il est à point et v s'allez m'le gâcher à refuser
d'accoucher comme-çà
- Wurtz ! j'ai quelque chose pour vous,
- Bon dieu, v s'allez mettre bas ou le p'tit va s'étrangler
- Wurtz ! je sais tout
- Quoi tout ??
- Tout, j'arrive !
Talbert raccrocha.
Mine de rien, la catharsis avait du bon, au moins pour ses effets secondaires. L'expérience
délicate qu'il venait de vivre avait été en partie contrôlée par Ariana . Un jour en fin de séance,
au prétexte, de mettre au clair la situation de Talbert, elle lui avait suggéré, compte tenu de
difficultés liées au contre transfert de consulter ailleurs. Face au désarroi de Talbert, elle
avait expliqué que Freud lui-même avait mis au jour des situations d'analyse " sans-fin " et
que face à cela, elle, Ariana préconisait d'autres méthodes qui n'étaient pas sans risque.
Elle lui avait conseillé de rencontrer, l'un de ses amis assez pointu dans le domaine de
l'hypno-narcose. L'homme gourou, féru de soft-medecine, se faisait appeler, par quelques
puérils désirs de pieds de nez ; Diafoirus. C'était le seul nom qu'on lui connaissait.
Hommage, disait-il à tous les charlatans de bonne foi que les adeptes de la scientificité,
sacrifièrent sur l'autel de leurs propres turpitudes.
Il avait mis au point une méthode synthétique visant à la syntonisation du vivant.
Il travaillait, expliquait-il à partir de toutes les méthodes visant le mieux être par l'usage de
drogues, du cri primal, du Zen, de la PNL, de la gestalt, de l'hypnoseŠ
Et avait ajoutait-il, fait un long séjour auprès de séides de Palo alto. L'objectif visé est
l'élévation générale du degré de conscience, par émergence des contenus pré-conscients.
Tel un long voyage dont on ne revient que transformé, l'expérience avait eu pour effet de
mettre à leur place les nombreux éléments de l'affaire.
C'est à moitié abasourdi par ce qu'il avait entrevu que Talbert avait commencé le ménage de
Marseille.
Wurtz était l'élément suivant, le fédérateur d'un échelon d'une organisation dont il
pressentait qu'il n'être qu'à l'étiage.
Une organisation révolutionnaire, où cloisonner, encore et toujours était le leitmotiv.
L'énumération des faits , et il le sentait bien, fatiguait Talbert.
Son esprit préférait divaguer. Raul, raoul, fidel, Florence, florence, un n¦ud, une butée contre
la dérive. Un flot soudain tumultueux. " Comme , je traversais des fleuves impassibles, Je ne
me sentis plus guidé par les haleurs ":
Florence, rencontrée quelques mois plus tôt à l'occasion du bal annuel de la police auquel il
s'était résolu à se laisser traîner sur l'insistance de deux de ses collègues féminines
ellesmêmes en mal de compagnons prétextes à leur présence. Il avait à leur yeux le bon
profil.
Florence, pourquoi y repenser? Il ne s'était rien passé, ou presque, peut-être un geste
équivoque. Simplement en la regardant, il s'était dit que oui. Et de nouveau, cette idée
simple rendait la vie plus vivable.
Talbert, tu n'es plus dupe, tu veux y croire.
Il se dit aussi et cela le taraudait franchement ; qui pourrait encore vouloir de moi. lui à qui
son image était devenu une douleur sèche, violente, un rappel à l'ordre.
Alors FlorenceŠ pourquoi elle ? pourquoi y perdre du temps ?
S'était encore un peu de cette foi tenace en l'existence. Sinon et sans cela la vie valait-elle
encore. Ce petit frisson qui parfois taquine le temporal, où le sang se mettait à battre
violemment. Les idées lui venait sur un mode Rimbaldien ;
" Jadis ma vie était un festin , où tous les vins coulaient..., un soir j'ai assis la beauté sur mes
genoux, et je l'ai trouvée amère, je l'ai injuriée, je me suis armé contre la justiceŠ "
Qui savait d'ailleurs, pourquoi n'y serait-elle pas venue ? Avait-il vu ou compris ce qui se
passait toutes ces fois où l'une ou l'autre et sa foi en elles s'étaient emparés de lui. Nul ne
sait encore par quelle magie il, elles s'étaient accordés.
Cet fois là, et toutes les autres Talbert touchait du doigt une manière d'éternité. Il se fascinait
dans la contemplation de son succès. Il rencontrait sa complétude mais la perdait
immédiatement.
Jamais en vain, car à chaque fois, il apprenait un peu plus de l'existence , jurait de ne plus
s'y laisser prendre et recommençait, bien que maître en prescience de la compulsion.
Ariana avait raison, mille années d'analyse n'y suffiraient pas. Et un pas en avant ne valait-il
pas mille programmes. Chaque rencontre n'est pas une pierre à l'édifice mais le moyen de
mieux le supporter, ce qui si l'on y réfléchit, revient au même.
Alors, Florence, toute une soirée à guetter un signe. Oui, car florence est la minute où j'aime.
Elle est un coup de tonnerre. Elle est ce qui m'émeut. Elle est une intelligence de l'ordre du
monde. Elle est le monde à l'envers.
Le monde à ses pieds, elle est l'âme qui vive !!
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