CHAP XIX

Coupez !!! Talbert se réveilla en sursaut. Florence hantait maintenant ses rêves. Il regrettait
la violence de son propos, mais c'était un rêve, enfin il en était pas si sûr. En plus il avait
pété son portable et n'avait ainsi plus de numéros, encore moins d'adresse. Il se sentait
piégé. Là au milieu de la nuit, à rien faire. Seul dans le silence, c'est ainsi qu'il
s'imaginait la mort, l'absolue certitude, la définitive servitude, l'infinie liberté; seul et en
silence.
Une pluie battante frappa sa fenêtre. Il l'ouvrit en grand et se laissa arroser en ouvrant la
bouche comme pour faire un peu plus corps avec une vérité tangible dans l'atmosphère
électrique. Un éclair stria le ciel et emporta la noirceur du monde. L'eau finit de le
réveiller, le giflant avec violence.
Revenir ainsi au monde dans le déchaînement des éléments, n'était-ce pas la seule posture
physique et métaphysique acceptable. Voilà une voie pour ce que les philosophes de la
post-modernité appelaient de leurs v¦ux; apprendre à naître au monde !!! disputer leur
pâture aux dieux.
Soudain d'une brutalité à se tordre cette renaissance se rappela à lui sous la forme d'une
image tremblée surgie de la nuit. Comme si les dieux voulaient rester maître de nos
destinées. Il senti sa colonne s'égoutter et toute entière fondre. Il tomba à genoux. C'était
une vision insensée !!!

Au pied de son immeuble Florence au bras de Wurtz ressuscité.
Quelques minutes plus tard toujours interdit par ce que le sort avait ourdi, il entendit une
clef pénétrer la gâche et faire jouer le pêne. L'huis s'ouvrit en grand sur Wurtz souriant
et Florence très pâle.
- Alors, vieux comment ça va ?
- Wurtz ! qu'est-ce que vous faites ici ? comment êtes-vous entré ?
- C'est à vous qu'il faut le demander, je vous rappelle que vous êtes ici chez-moi.

Talbert jeta un coup d'¦il autour de lui et réalisa qu'il n'était pas chez lui, il répéta :
- qu'est-ce qui se passe ici ?
Wurtz qui s'était approché, le pris doucement par le bras et le fit asseoir sur le canapé en
cuir noir. Florence s'approcha, elle était toujours aussi pâle mais son beau visage d'enfant
esquissait un vague sourire. Ses yeux parlaient pour elle. Son visage était celui de
l'amour. Elle aussi aimait à la manière des poetes, sur des supputations, sur des bases
purement théoriques, sans qu'il ne fut rien passé qu'un échange de banalités.
Juste des sentiments furtifs, une danse fantasque, le désir de l'objet un de ses soirs où la
vie décidait d'arrêter et de bâtir son horizon à hauteur du visage d'un homme et d'une
femme jusque là perdus pour toutes les causes en particulier celle de leur existence.
Wurtz jugea utile de s'expliquer.
- Talbert, mon vieux vous avez débarqué chez-moi, comme-çà sans prévenir
- Mais je vous ai appelé de Marseille,
- Ca ça m'étonnerait, je rentrais de Valachie juste avant que vous n'arriviez
- Bon dieu, c'est pas vrai, j'ai tout de même pas rêvé !!! , je vous ai même dit que je
savais tout et que j'arrivais. En plus je vous ai appelé à votre bureau après avoir eu le
standard de la préfecture. Qu'est-ce c'est que ce bordel ??
- Ca j'en sais rien, je ne sais d'ailleurs pas ce que vous savez et que vous vouliez me dire.
En revanche ce que je peux vous dire: c'est que vous vous êtes affalé sur ma moquette dés
que j'ai eu ouvert la porte. Votre portable a alors sonné, j'ai répondu, c'était
mademoiselle.
Florence, s'avança vers moi
- Bonjour Gael, comment vas-tu ? tu te sens bien ?
Je fus tout d'abord surpris, qu'elle m'appela Gael car pour l'état civil j'étais yul
Wladimir, Ivan, Ramon Talbert. A la mémoire successivement de la Grande illusion, de
Lénine, du terrible tsar moscovite fondateur de la Russie, de l'assassin de Trotski,
passions récursives de mon père avant qu'il ne devienne lui-même bourreau anti
tiers-mondiste grand pourfendeur de Frantz Fanon et de son pour la révolution africaine,
visionnaire mon père ! sur ce point au moins.
- Gael, répéta Florence avec un accent d'inquiétude dans la voix, tu m'entends
Pourquoi lui avais-je raconté ce bobard. Gael, le Celtes, tiens fumes ! pauvre mec !
- Gael, comment te sens-tu ? Monsieur Wurtz m'a dit ce qui se passait, je lui ai demandé
de venir me chercher. J'avais réfléchi à ta proposition et j'avais envie de te revoir, c'est
pour ça que je t'appelais. Mais, tu m'avais un peu inquiétée, c'est pour ça que j'ai tardé.
Tu te rappelles quand tu m'as dit que tu vivais dangereusement, que tu ne pouvais
envisager ton existence autrement. Que ta cause était sombre et que nombre d'autres
comme toi étaient des soldats perdus de causes à tous jamais englouties dans le
mouvement du monde.
- Ha oui ?
Talbert pensa que l'alcool avait parfois du bon.
Wurtz qui n'avait pas envie de tenir la chandelle, coupa l'épanchement, il me fit boire
une fine champagne Henri Martin et nous mit dehors prétextant un rendez-vous
professionnel aux aurores. Il dit toutefois :
- Talbert faudra qu'à l'occasion on cause de tout ça.
Une fois dehors l'air humide me saisit à la gorge et je me mis à tousser. Florence à mes
côtés ne disait plus un mot. Peut-être que comme moi elle goûtait ces minutes d'insensée
quiétude dans un monde pourtant prêt à chavirer.
- Gael ?
Maintenant, je devais m'y faire, j'étais rebaptisé par mon amour de l'heure; rien de
tragique, ni Etéocle, ni Polynice
- Gaël Š
- Oui ?
- Tout, à l'heure en partant j'ai laissé à la maison des amis que j'avais conviés à dîner.
Quand je t'ai appelé on était au dessert, je leur ai demandé de m'attendre. J'ai dit que
j'avais un problème et que je ne tarderai pas à revenir
- Oui, tu veux les rejoindre, tu t'ennuies ?
- Non, évidemment non !!! je voudrais que tu viennes avec moi, je voudrais te les
présenter
- Je n'ai pas très envie, tu sais moi les mondanités c'est pas mon truc, le balais dans le cul
ça me file des hémorroïdes. Ma philosophie c'est l'Oursitude, chacun chez soi et les
autres seront bien gardés. Me colleter avec l'altérité c'est toujours faire assaut de triste
vérité. La vacuité des autres me rappelle trop souvent à la mienne pour que j'aime m'y
essayer.

Elle me regardait avec une certaine bienveillance, je me demandais si elle saisissait
le sens de mes ânonnements.

- Mais, tu verras il sont très sympas, intéressants, ceux sont mes amis.
J'éprouvais maintenant un besoin pressant de faire face à ses objurgations.
- Ecoute, la vérité je vais te la dire, je suis sur le cul que tu sois là, je suis comme un con à
vasouiller et à te raconter des conneries alors que je voudrais m'appeler Arthur Rimbaud
pour te dire l'amour comme j'estime que tu le mérites, pour te dire la volupté de cet
instant. Je voudrais être capable de convoquer toute la musique que j'aime pour toi, les
Platter's, le plastic Ono band, Led zeppelin, le velvet underground, Creedance
Clearwater RevivalŠ
te chanter She's so fine de Flash Cadillac and the Continental
Kids et crier comme Johnny que je t'aime que je t'aime.

Les yeux de Florence se levèrent sur moi, comme sans doute dieu regarda le monde
au septième jour, alors qu'il s'interrogeait encore sur le moyen d'inventer l'éternité.
Florence immobile mais ardemment désirable me dit :
- Embrasse-moi !

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