Au lieu et à l'heure fixé pour le rendez-vous, l'homme s'avança vers Bernard, Daniel et Lucie.
Bernard lui tendit la main et dit " Talbert !, comme ça me fait plaisir, ça faisait longtemps ".
L'homme ne répondit pas, on devinait à peine son regard et moins encore son visage dissimulé
sous la capuche de sa parka.
Lucie dit : " c'est un drôle d'endroit pour un rendez-vous, ne trouves-tu pas Talbert ? ".
L'homme ne pipait pas un mot, Lucie inquiète se ravisa ; " oui, je comprends la clandestinité, un parking , vu comme cela, c'est normal ".
Elle rajouta, " Hé vous autres vous ne trouvez pas qu'il commence à faire froid ici ! ".
Un bruit de course, amplifié par l'atmosphère parfaitement silencieuse du sous-sol se fit entendre
sur leur droite. L'homme se raidit et d'un geste ferme indiqua à Lucie de se taire.
Une voix au loin cria : " ho ! ho ! où êtes-vous ? attendez-moi, vous n'êtes quand même pas partis ! ".
C'était Judith Wittstaub.
Elle arriva essoufflée et dit : " c'est quoi cette partie de cache-cache , vous vous la jouez
francs tireurs et partisans ou quoi ? D'accord, le Talbert l'est clando mais ni plus ni moins que
mes clandestins. En plus j'sais pas si vous savez, mais les bourres sont en grève depuis cet
après-midi 16H00. Pour la première fois depuis Vidocq, y'a plus un flic dans Paris et quand y'a
plus le guet le petit peuple en voit de toutes les couleurs (black, blanc, beurre). Bonnes gens !
surtout ne dormez pas tranquille !
D'ailleurs j'serais nous, je moisirai pas dans un parking en plein 19éme , à c'tte heure, on est
déjà repéré, qui sait peut-être d'ors et déjà logé par une bande de frappadingues pas
sympathiques du tout. Mais au fait si j'mabuse mon bon docteur, y'a notre ami Talbert le héraut
de la république, va nous sortir de là, le rocambole des amours radiophoniques. "
Daniel se tourna vers l'homme et avança le menton comme pour lui demander ce qui aller se passer.
Bernard dit, un rien inquiet par ce que venait d'énoncer Judith Wittstaub, " alors Talbert
qu'est-ce qu'on fait mon vieux, Judith à raison ; faudrait pas prendre racine. ".
Pourtant, le silence du lieu, la majesté des abysses, la pose hiératique de l'homme, tout cela en
imposait aux trois ex. En fait et pour tout dire leur passé militant, ils l'avaient vécu comme
l'irruption cutanée qui l'avait précédée. Un engagement tel, qu'eux-mêmes caractérisaient
crânement d'attitude petite bourgeoise.
Ils admettaient d'ailleurs que d'autres moins solides qu'eux avaient souffert de la rupture. Ils
n'étaient pas arrivés à grandir. Ce n'était là que sélection naturelle, et justice.
Mais aujourd'hui, la distorsion, le télescopage du temps, ce retour inc et nunc au passé, cette unité
de lieu et de temps. C'était comme un mauvais rêve, comme quelques divinités mécontentes qui
viendraient, leur faire querelles, réclamer raison. La culpabilité, qui surgit, violente, prégnante,
pas celle du quotidien, celle dont on ne s'embarrasse pas, la véritable, celle qui cause de Morale,
pas celle de Trotski (leur morale et la nôtre) mais celle de confesse, 2000 ans d'enfer
Judéo-Islamo-crétino chrétien.
Tous avaient souvenirs de l'atmosphère éthérée, de cette inquiétante étrangeté du film,
"glissement progressif du plaisir ", Anicet Alvina , troublante nue comme la vérité , celle
des êtres, celle des sens, celle de la création, celle qui ne ment pas. Et bien, c'était comment dire ?
comme cela qu'ils vivaient la scène du parking.
L'homme les rappela à la raideur du réel, il toussa ce qu'ABDOULCASSIS (médecin du califat de
Cordoue X ème siécle,) à n'en pas douter, eut soigné à l'aide de quelques décoctions du cru.
L'homme ôta sa capuche et sourit ; dieu qu'il est beau se dit Judith Wittstaub, toute à ses sens.
Tandis que Daniel et Bernard, allaient ouvrir la bouche, Lucie les devança, " tu n'es pas
Talbert, que signifie cette comédie ? ".
L'homme dit d'une voix forte, emprunte de la terrible conviction que son propos et ce qui allait
advenir n'étaient qu'un : " Léon Trotski nous enseigne dans le Programme de Transition..."
" La situation politique mondiale dans son ensemble se caractérise avant tout par la crise
historique de la direction du prolétariat...
Les prémisses économiques de la révolution prolétarienne sont arrivées depuis longtemps au
point le plus élevé qui puisse être atteint sous le capitalisme. Les forces productives de
l'humanité ont cessé de croîtreŠ
Le passage définitif de l'Internationale Communiste du côté de l'ordre bourgeois, son rôle
cyniquement contre-révolutionnaire dans le monde entier, particulièrement en Espagne, en
France, aux Etats-Unis...
Sous le drapeau de la Révolution d'Octobre, la politique conciliatrice des "Fronts
Populaires" voue la classe ouvrière à l'impuissance et fraie la voie au fascismeŠ
La tâche stratégique de la prochaine période consiste à surmonter la contradiction entre la
maturité des conditions objectives de la révolution et l'immaturité du prolétariat et de son
avant-gardeŠ
Ce pont doit consister en un système de REVENDICATIONS TRANSITOIRES, partant des
conditions actuelles et de la conscience actuelle de larges couches de la classe ouvrière et
conduisant invariablement à une seule et même conclusion: la conquête du pouvoir par le
prolétariat...
La tâche stratégique de la IVe Internationale ne consiste pas à réformer le
capitalisme, mais à le renverserŠ
La IVe Internationale déclare une guerre implacable à la politique des capitalistes
qui, pour une part considérable, est celle de leurs agents, les réformistes, tendant à faire
retomber sur les travailleurs tout le fardeau du militarisme, de la crise, du désordre du système
monétaire et autres maux de l'agonie capitalisteŠ
Le devoir de la IVe Internationale est d'en finir, une fois pour toutes, avec cette politique servile.
Les démocrates petits-bourgeois - y compris les social-démocrates, les stalinistes, les
anarchistes - poussent des cris d'autant plus forts sur la lutte contre le fascisme qu'ils capitulent
plus lâchement devant lui en faitŠ
Les jaunes et les gendarmes privés dans les usines sont les noyaux de l'armée du fascisme.
Les PIQUETS DE GREVE sont les noyaux de l'armée du prolétariat...
La IVe Internationale jouit dès maintenant de la haine méritée des staliniens, des
social-démocrates, des libéraux bourgeois et des fascistes. Elle n'a ni ne peut avoir place dans
aucun des Fronts Populaires. Elle s'oppose irréductiblement à tous les groupements politiques
liés à la bourgeoisie.
Sa tâche, c'est de renverser la domination du capital.
Son but, c'est le socialisme. Sa méthode , c'est la révolution prolétarienneŠ
La crise actuelle de la civilisation humaine est la crise de la direction
prolétarienne.
Les ouvriers avancés réunis autour de la IVe Internationale montrent à leur classe la voie pour
sortir de la crise... Ils lui proposent un drapeau sans tache aucune...
Ouvriers et ouvrières de tous les pays, rangez-vous sous le drapeau de la IVe Internationale.
C'est le drapeau de votre victoire prochaine ! "
L'homme poursuivit sur le même ton, empli d'une flamme, d'une frénésie qui finit par gagner son
auditoire ; le doigt levé, il assénait :
" Camarades, oui, je vous concède encore ce mot. Camarades, vous avez failli ! cependant
toute l'histoire de la IVe Internationale, nous enseigne que la
pression à laquelle sont
soumis nos camarades est terrible mais que grande et noble est la tâche des révolutionnaires Š ".
Bernard dont la voix chevrotait dit : " Que vas-tu faire de nous ? ".
Lucie prit la main de Daniel lui glissa dans l'oreille;
" Ce mec est complètement allumé, il faut gagner du temps et trouver une solution ".
Daniel fit un geste d'impuissance, tournant ses paumes vers le ciel.
Seule Judith semblait amusée par la situation,
" dis-moi, p'tit bijou quand t'auras fini tes psalmodies, peut-être pourras tu consacrer un peu de
temps à un examen conjoint des ¦uvres de Wilhem Reich, si ça te dit on peut jouer à :
matérialisme dialectique et psychanalyse, ensuite je t'enseignerais ; la fonction de l'orgasme. "
Bernard de plus en plus inquiet se mit à pester contre judith ; " Ecoutez-là l'hystérique de tic et
toc (Psyc et Po), tu veux peut-être que le torchon brûle, tu penses lui réveiller la libido, mais tu
vas nous l'énerver avec tes conneries Lacano-Rei-chienne. Décidément t'as rien compris aux
mecs, surtout à ceux-la, ce sont des ascètes, des anachorètes, des moines, pas celui de Lewis. Il
en a rien à faire de tes inférences Eschylienne, lui c'est pas oedipe qui le branche, c'est St Just.
Ce qui le fait jouir c'est ventôse, étriper les accapareurs, sus aux Koulaks et tout le toutim. C'est
certes un beau gosse, mais c'est pas tes loches qui tombent qui vont lui réveiller le désir. "
Judith que la sortie de Bernard agaçait lui rétorqua : "Dis donc le frileux, faudrait pas que la
panique te gagne, ici c'est pas grouchy à waterloo. C'est qui nous ferait un infarctus le sérieux.
Dis-donc le 20 heures te porte aux sens, t'a trop l'habitude de plier la réalité à tes fantasmes et
maintenant quand c'est en vrai, hé ben tu sais plus comment on fait. T'as tellement l'habitude
qu'on te serve la soupe, qu'on te dise que t'as raison, surtout quand ta pensée n'affleure même
plus le niveau de la mer.
Alors le voilà le héros du PAF, l'a plus rien dans le calbute. Une vraie lope !
C'est vrai que c'est pas l'image qui risque de te miner, dans ton studio y'a que les techniciens qui
se ruinent la santé. Y paraît même qu'y faut te donner du: monsieur le présentateur vedette
du principal Journal télévisé de la télévision de la république française.
Tu sais ce que je lui dis moi à monsieur le présentateur vedette du principal Journal télévisé de
la télévision de la république française,
tu n'es qu'un, un , unŠ foutriquet !!
Quant à la libido de monsieur, je me fais fort de lui lire l'éloge des femme mûres et de le convaincre
que la conquête du prolétariat passe aussi par la fraternisation avec la compagnie des femmes.
Puis se tournant vers l'homme :
Tu m'entends toi, l'amour et la révolution, c'est mon programme !! et c'est pas un programme
minimum, hein ! monsieur le révolutionnaire ! d'ailleurs si tu te souviens bien y'a du y'avoir un
manifeste pour un art révolutionnaire indépendant (FIARI) avec ton pote Léon, par le mec qui
a écrit Nadja. "
L'homme reprit sur le même ton : " notre camarade Talbert, a vaillamment ouvert la voie à la
lutte héroique des masses contre la violence du spectacle, contre la marchandisation des rapports
humains, contre l'épreuve du langage à l'encontre de la parole. Contre le systématisme de la
technique, pour l'amour, pour le retrait du monde, c'est là l'énergie du désespoir. C'est là aussi
le seul moyen de faire pièce aux formes nouvelles de la domination. Pour cela, nous ne
construisons plus l'avant-garde consciente du processus inconscient. Nous déconstruisons la
fiction du savoir, sa prédominance sur les sens. L'introjection dans tous les actes de l'existence
de formes vides de contenues. Contre la fiction introspective et le mimétisme.
Ce n'est pas simplement la mode qui est en question, c'est la vie, l'amour, le geste amoureux qui
se stéréotypent. Il n'y a plus d'humain que l'irruption des sens sur la scène du monde, nous nous
battons pour cela et sommes fiers d'être de ceux-là . C'est pourquoi nous réaffirmons que cette
stratégie s'incarne aujourd'hui en France dans l'auto dissolution du Parti socialiste ! "
Rangez-vous à nos cotés. C'est le drapeau de notre victoire prochaine ! "
L'homme sans plus rien dire se retira disparaissant dans la nuit du sous terrain. Judith cria encore ; "
attends, tu ne m'as même pas dit comment tu t'appelles, laisse moi une adresse, un numéro de téléphone ...
".
Bernard, Lucie, et Daniel se retirèrent récapitulant certains des propos de l'homme et méditant le sens de cette singulière aventure.
L'homme rejoint Florence, et lui dit : "c'est fait ! , Talbert avait raison !"
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