Bernard est pensif
"Au fond, il s'agit d'une posture rimbaldienne.
Le Talbert, il nous joue le trafiquant au petit pied au bout du monde, et dimension qui n'apparaît
pas chez l'ex-élève d'Isambart, en plus, il manipule un zonzon ici qui débite comme une mélopée
des extraits choisis du programme d'un barbichu, stratége certes, mais mort en 1940 "...
"Alors là, je ne suis pas tout à fait d'accord, rétorque Judith, d'abord le zonzon, ce n'en est pas un; il est
beau comme un demi-dieu, c'est un beau gosse et il est intelligent; rien que pour ses yeux, je
referais bien un GER, comme il y a 25 ans." (Petits rires)
"Judith, je t'adore mais franchement tu perds la boule, une fois de plus ta libido te mène par le bout
du nez. Trève de nèfles, ce jeune homme est très mignon, mais il est une sorte de robot
télécommandé depuis on ne sait où, par un type qui a été notre contemporain, certes" ...
"Comment parles tu, c'est curieux de ta part ...? D'où parles tu ?"
"Laisse moi finir... Qui a sympathisé avec le bon côté certes ... qui a rejoint l'appareil d'état dans sa
version maintien de l'ordre, ne l'oublions pas, puis qui a viré maboul en prenant en otages la
rédaction de la radio la plus chiante du monde ... Quelques mois plus tard, ayant trompé tout le
monde , il se fait la tchave et il va à l'autre bout du monde faire je ne sais quelle activité illicite,
forcément il est clandestin et recherché partout.
En plus il se croit obligé de téléguider un bouffon qui se fait passer pour lui auprès de nous, ses
propres amis de 20 ans pour débiter des onomatopées années 30..."
"Tu as terminé ta litanie ???"
"C'est injustifié et injustifiable de la part de qui que ce soit, alors pourquoi l'admettre de lui ? Ce type
qui défendait des thèses, déjà, à l'époque" ...
"Laisse moi te dire, Bernard, ce que j'en pense, moi !"
Tout d'abord ton attitude haineuse cache quelque chose ...
Tu n'aurais pas été entiché de Talbert par hasard, Bernardo, sans même l'espoir d'un regard.
Ce type là, c'est un macho, un vrai.
Il se trouve que j'ai retrouvé son envoyé, que j'ai longuement discuté avec lui hier; j'essaye de
comprendre la démarche et j'avoue que j'ai du mal, sans honte ni colère."
Moqueur "Raconte moi tout çà; j'en ai l'eau à la bouche ..."
"Ma rolepa, c'est toi la midinette Nanard, on croirait presque ..
Voici le fond de l'affaire:
Talbert c'est une chimère, un être à la fois existant et qui n'est pas vraiment ce qu'on dit de lui.
Lorsque l'attentat contre lui a eu lieu, durant des semaines la presse, parce que c'était un flic, a
répandu des bruits de toutes sortes sur les hypothétiques enquêtes qu'il aurait menés sur
d'effroyables trafics.
En fait, Talbert était avant tout un psychologue chargé de trouver les failles dans les organisations
criminelles. Il passait le plus clair de son temps à lire les procés verbaux d'interrogatoires
pratiqués par ses collègues afin de détecter les contradictions, et de déceler les points faibles.
Une sorte de profiler des mafias en quelque sorte, rien à voir avec l'espèce de James Bond à la
gomme que certains ont tenté d'en faire.
Maintenant c'est pareil; il tient un vague bistrot, type Wayan's café, c'est à dire le bistrot du coin,
avec nasi goreng et sate ayam de base et toi tu le vois trafiquant d'armes dans le triangle d'Or.
Ecoute bien Bernard, ce que je vais te dire; on voit les autres en fonction de soi, puisque, et c'est
naturel, on les voit à travers les relations qu'on a avec eux, dans les circonstances claires ou
sombres de la vie."
"Judith, je t'écoute très attentivement, car il me semble que pour une fois tu atteins les couches
profondes de la pensée."
"Merci, Nardo !!
Donc Talbert, on en parle aujourd'hui car il fait irruption de nouveau après ces épisodes délirants,
dans notre vie, qui elle a continué comme d'habitude...
On l'a connu toi et moi il y a plus de 20 piges, à une époque où il était de bon ton d'être très dur,
contre le régime politique en France, contre les dévoiements du stalinisme, contre les patrons,
contre la société toute entière, encore bloquée sur plein de choses ...
Or, aujourd'hui, qu'est ce qui a vraiment changé ?
OK, la gauche est arrivée au pouvoir, elle y est restée malgré la haine de la droite et des
possédants ...
La gauche a gouverné plus que la droite depuis lors et alors il n'y a plus de pauvres ?
il n'y a plus d'exploités ?
il n'y a plus d'exploiteurs ?
il n'y a plus d'enfoirés qui magouillent ?
il n'y a plus de gens qui meurent de faim dans des pays sous la protection de la France ?
Je pense, sans être tout à fait sûr que c'est précisément ce que veut dire Talbert, à travers ses provos.
Il pousse le bouchon pour montrer que comme beaucoup d'autres, il a cru à un monde meilleur,
qu'il s'est lui-même mouillé, mais qu'aujourd'hui, il refuse le cadre même des institutions qui lui
paraît factice pour régler vraiment les problèmes posés.
En même temps, il ne le fait pas lui-même, mais en envoyant un jeune type qui n'est pas impliqué
dans les combats actuels que nous connaissons, qui est par conséquent réduit à jouer les épigones
de types des années 30, à Prinkipo ou Mexico ou ailleurs ...
Mais en tous les cas, pas au fait de ce qui passe vraiment dans les mouvements de contestation de la
société, donc déconnecté ..."
"Tu veux dire Judith, qu'à travers ce galimatias par personne interposée, Talbert, si toutefois c'est
vraiment lui, nous adresse un gros clin d'oeil."
"En quelque sorte, bien que ce doit être un peu plus fin que çà.
N'ayant plus d'illusion sur les capacités du système à changer, ni non plus beaucoup de velléité
pour mener un quelconque combat collectif, Talbert nous dit : le cadre est pourri, mais
inchangeable; alors marrons nous un peu, la vie est courte ..."
"OK, c'est peut-être un peu çà finalement; allons boire un verre de rouge, j'ai envie de planer
agréablement ... Je connais un bar là un peu plus loin, où le Pommard est sublime ..."
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