- Ariana ?
- (...)
- ARIANA ?
- Je vous écoute Monsieur Talbert, ce n'est pas la peine de hurler je vous l'...
- Ariana, murmurai-je suavement
- oui
- J'AI PERDU LE FIL !!!
- Calmez-vous maintenant Monsieur Talbert ! Si vous continuez sur ce ton, j'arrête la
séance et je vous envoie au service du Professeur Glandowski !
D'abord, je vous ai demandé de vous allonger. Tant que vous resterez assis ainsi à
vitupérer nous ne ferons rien de bon...
Elle garda le silence de longues et interminables minutes. Je fis comme d'habitude quand
une crise me gagnait : respirer profondément et attendre que ça s'apaise. Il me fallut pas
mal de temps mais j'eus gain de cause.
Pour finir, je susurrai :
- Ariana...
- oui Monsieur Talbert
- je suis allongé maintenant...
- oui et c'est bien ainsi
- j'ai fait comme vous vouliez, Ariana
- ce n'est pas pour moi mais pour vous que vous le fa”tes
- peut-être Ariana
- revenons à ce fil, n'est-ce pas ?
- je l'ai perdu Ariana
- à Moulins ?
- mais non, pas à Moulins... Moulins ! pas de fil, ça s'effiloche (et je me mis à penser aux
loches de Maria-Roberta par la seule magie des mots)
- je ne vous sens pas concentré Monsieur Talbert, on arrête ?
- surtout pas Ariana, surtout pas..., implorai-je
- je vous écoute, donc
- écoutez Ariana... Freud, Adler, Jung, Groddeck, la chère Mélanie Klein, le Lacan même,
qu'est-ce qu'ils y peuvent puisque j'ai perdu le fil ?
- belle litanie Monsieur Talbert, mais ils n'y peuvent effectivement rien... vous seul
pouvez... et moi vous écouter...
- c'est vrai qu'on est mieux allongé... je parlais de Moulins n'est ce pas avant la crise ?
- oui Monsieur Talbert, de Moulins centre France
- et si Moulins c'était du vent Ariana ?
- (...)
- vous ne d”tes plus rien ?
- la séance a repris Monsieur Talbert...
- Moulins c'est du vent, Ariana... du pur phantasme... Maria-Roberta, l'opulente, l'onctueuse
po”trinaire, c'est du vent... et Champs sur Marne aussi, rayé de la carte!
Vous savez cela, Ariana, qu'il ne s'est jamais rien passé à Champs sur Marne... oui, vous le
savez... il ne peut rien se passer à Champs sur Marne d'autre que fantasmatique...Moulins !
d”tes moi plut™t que je vous roule dans la farine ! Meunier tu dors, meunier tu dors... Ariana ?
- (...)
- il faut que je vous dise... (je pris ma respiration) ... j'étais sur une enquête, bon, routine,
une fille qui m'avait donné rendez-vous dans un bar, pour me donner des renseignements...
j'ai fini par l'attendre dehors, bon, elle est venue, mais ce qui était pas prévu, vous voyez
Ariana, pas prévu, c'est qu'elle m'a braqué... elle m'a braqué, bon, mais un gonze du bar, un
dénommé Kùsack, qui venait quelques minutes avant d'étriper un gros lard libidineux, enfin
je résume, hein Ariana ? .... oui je résume... eh ben, ce même Kùsack a liquidé la fille en
professionnel sans que je lui eusse rien demandé, notez bien, rien...
et puis, il s'est
cassé... comme ça ! alors j'ai foutu le corps dans mon coffre, suis allé au Tréport, et l'ai
largué du haut de la falaise... bon ... (nouvelle respiration) le lendemain matin, alors que je
prenais mon café, j'ai vu passer une silhouette ressemblant à s'y méprendre au cadavre de
cette ra..., femme... alors j'ai couru au dehors... personne ! Hallucination ?
Ariana ?
- oui, j'écoute
- vous prenez des notes ?
- (...)
- vous avez cru à Maria Roberta ?
- vous n'avez droit qu'à une seule question, vous vous en souvenez ?
- oui oui, alors ?
- un peu... mais, plus maintenant...
- ah ?
- vous êtiez en voiture, m'avez-vous dit ?
- oui
- ça ne va pas... je ne vous vois pas laisser votre voiture au Tréport et prendre le train pour MoulinsÉ
- BRAVO ! ď Ariana, vous êtes divine... je suis revenu à l'h™tel et j'ai dormi, rêvé, avant de
vous téléphoner pour me prendre en urgence... mais le fil est perdu, hein ?, le fil est perdu Ariana ?
- la séance est terminée Monsieur Talbert...
Je m'assis, soulagé, et sortis de mon larfeuille un bifton de 500 que je donnai à la Dame.
Ariana... encore une fois je n'avais pas osé lui dire... Maria-Roberta c'était elle !
Un classique transfert ? Non ! Une hantise ! Oh que je me perde une fois rien qu'une dans
une éjaculation définitive au milieu de ses seins altruistes ! Espagnola branletta ! Mais je
ne l'avais pas convaincu, malgré mon imagination fiévreuse.
J'avais peut-être un peu forcé sur l'aspect mystique avec l'histoire de l'imam, stratégie
comme une autre pour réveiller la folie slavo orthodoxe d'Ariana, mais quoi, il ne fallait
pas confondre ferveur et incohérence.
Quant à mon portrait de Maria-Roberta, c'était bien parti mais ma veine misérabiliste
avait fini par prendre le dessus. Comment Ariana aurait pu se reconna”tre dans ce récit
allant rétrécissant alors qu'un seul de ses mots ouvrait des univers, d'infinis espaces ?
Je flottais, une fois dehors, comme à chaque fois. L'esprit ouvert. Ariana... Ariana ? Elle
prenait des notes. Et alors ? ET ALORS ! Elle était d'origine bulgare, mariée à un écrivain
connu. OUI. OUI ! J'avais eu déjà à la lecture de la prose de son plumitif époux l'impression
d'y retrouver une partie de mes salades, bien recyclées. OUI ? Et si ça allait encore plus
loin ce petit délire ?
D'après nos dernières sources, il y avait fort à parier que le foyer du trafic sur lequel
j'investiguais bravement était bulgare : merde ! Depuis des années que je me déballonnais
dans son cabinet, tous boutons de braguette ouverts, je lui filais toutes les clés des
enquêtes. Attention attention, on ne s'emballe pas. Quand même. Elle avait pris des notes
dès que j'avais évoqué Kùsack. Bizarre étonnant détonnant !
Fallait rester sur cette piste. Talbert, le flair! Cuisiner Ariana ? Non, plus subtilement,
retrouver Kùsack. J'arrivais au pied du commissariat. A l'accueil, on me prévint que j'étais
attendu par un certain Gushbore, membre du FBI, qu'on avait fait attendre dans mon bureau.
Je l'y trouvai, en train de fumer.
- Mister Gushbore ?, je demandai
- Oh ! Mister Talbert, I'm from the narcotic bureau...
J'eus envie de lui répondre : "mézigue, c'est plut™t du nargotique bureau que je suis", mais
je contournai l'ensemble homme-table qui me faisait face, avant que de me poser un cul
sur ma chaise pivotante et d'attendre des explications.
Inutile de dire que j'étais plus qu'impatient.
- Je vous écoute, donc, M. Gushbore ..., fis-je, ouvrant mon carnet de
notes.
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