CHAP VI

L'Américain avait une théorie à lui sur l'ampleur du trafic.
Tout d'abord, la carambouille de voitures marchait en parallèle avec un incroyable trafic
de stupéfiants. Ensuite, la partie française, pourtant déjà conséquente, ne recouvrait
qu'une partie infime de l'ensemble.
Selon lui, l'Europe entière était touchée, le proche et le moyen Orient, l'Afrique dans ses
parties urbaines et déjà une partie de l'Asie. Il semblait que cette pieuvre, tel un blob
géant, avalait tous les réseaux anciens et prenait chaque jour des parts de marché
supplémentaires dans ses activités illicites. Mais également, en représentant une part
croissante des économies locales, ce céphalopode ne marchant pas sur la tête en arrivait
à représenter une menace pour l'ordre public.
Il est notoire que tout organisme nuisible prend le pas inévitablement sur les organes
sains qu'il attaque, de même que la mauvaise monnaie chasse la bonne, selon un processus
décrit depuis des siècles par les économistes même dépourvus de talent. Toutefois,
l'intensité de la traque que je menais depuis des mois, la multiplicité des identités que
j'avais dû endosser, les désordres collatéraux que ce labeur incessant faisait subir à ma
vie personnelle, tout cela commençait à me porter sur le système.
C'est pourquoi, alors que Gushbore faisait entendre sa douce musique de flic, des faits
incontestables, des banalités navrantes, des lieux communs, des commentaires fielleux
sur le caractère intrinsèquement pervers de l'Albanie et des Albanais (on aurait cru de
temps en temps entendre la version filmée adaptée de "Tante Julia et le scribouillard", ce
petit chef d'oeuvre de Vargas Llosa), je laissai mon esprit partir à l'assaut d'autres
forteresses imprenables. Les femmes, les FEMMES, une tentation de tous les jours, une
faim jamais rassasiée, depuis mon divorce malencontreux d'avec ma femme légitime.

Rien de ce qui est humain ne m'est étranger, et particulièrement ce qui est féminin, ce qui
est une nuance non négligeable. Petite ou grande, blonde, brune ou rousse, opulente ou
maigrichonne, l'être féminin a toujours des atouts, à défaut d'atours, et il faut en faire le
tour. Il ne s'agit pas ici de faire étalage de conquêtes, de compter et de comparer, puisque
chacune a quelque chose pour elle, de corps ou d'esprit, quand ce n'est des deux.
La question qui se pose est celle de la nécessité éventuelle de l'amour unique, qui résout
la quête, puisqu'il y met fin. L'amour unique consiste à mettre en avant la stabilité d'une
relation supposée éclipser toutes les autres potentielles, grâce à sa qualité de globalité :
femme, épouse, maîtresse, pute, (sans parler de mère qui est une dimension à part
entière), toutes facettes qui permettent l'équilibre dans une vie prenante.

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